Une date : le 11 mai. Et à côté, des points d’interrogation. Qui ? Quand ? Où et à quel rythme la société française va-t-elle se déconfiner ? Pour les commerces dits non essentiels, qui sont fermés pendant deux mois, une autre inconnue demeure. A l’instar des pays voisins qui ont amorcé la réouverture des points de vente, une condition de superficie sera-t-elle imposée ? Pour l’instant, il n’y a pas de réponse sur ce critère. Et pas davantage sur les autres. « Nous attendons que les consignes du gouvernement soient plus précises, en espérant qu’il ne concocte pas une usine à gaz », précise Philippe Sempéré, le fondateur de la chaîne
Planet Indigo (8 boutiques) et gérant du
Galeries Lafayette de Béziers. « Nous naviguons à l’aveugle», appuie Pascale Orsoni, détaillante à Bastia.
Pas de pénurie de masques
En attendant que toutes les réponses soient apportées, les commerçants lancent les préparatifs pour garantir la sécurité sanitaire de leur point de vente. « Même si nous ne connaissons pas encore le sort réservé aux boutiques en centre commercial, nous faisons comme si nous allions rouvrir tous notre réseau dès le 11 mai », stipule Jean-Paul Chouraqui, le dirigeant de l’enseigne multimarque Fiesta Révolution. Pour ses équipes, il a déjà passé commandes de gants et de masques lavables. L’approvisionnement semble poser peu de soucis. « Il y a des filons désormais organisés. Nous avons même pu faire sérigraphier les masques à notre enseigne ».
Les circuits d’approvisionnement ne paraissent pas faire défaut, entre les points relais assurés par les chambres de commerce et d’industrie, les opérations de certaines municipalités, de têtes de réseaux ou de fédérations professionnelles, ou encore les stocks des distributeurs. Les professionnels peuvent aussi se procurer des autocollants pour matérialiser les distances de sécurité au sol ainsi que les paravents en plexiglas pour équiper les caisses et éviter les projections de gouttelettes. « Si on fouine, on trouve ce qu’il nous faut », assure le multifranchisé Jacques Vuillermet.
Désinfection totale
Il y a la question sanitaire, mais aussi la nécessité de redonner confiance aux consommateurs. Chez Fiesta, par exemple, chaque boutique affichera en vitrine les conditions d’accueil « pour rassurer la clientèle ». Des distributeurs de gants seront placés à l’entrée et des « points gel hydroalcoolique » seront installés. Ailleurs, on prévoit de désinfecter les pads de carte bleue après chaque utilisation. Concernant cette ultime étape, la relève du plafond de paiement sans contact à 50 €, au lieu de 30 €, est perçue comme « allant dans le bon sens » pour sécuriser caissier et acheteur. Plusieurs multimarques moyen et haut de gamme notent, cependant, que cela reste en deçà de leur panier moyen. Celui d’avant la crise du moins.
La réduction des horaires d’ouverture et le filtrage des entrées sont aussi envisagés. Ces pratiques sont déjà appliquées par des acteurs internationaux qui ont pu relever le rideau sur certains marchés. La semaine dernière, Mango a ainsi relancé plus de 80 boutiques en Europe (en plus de la cinquantaine déjà rouverte en Chine), en s’adaptant aux « législations locales, en se pliant à tous les critères précités et en garantissant « la désinfection permanente des points de vente », fait savoir le distributeur espagnol.
Sur ce critère, certains ont poussé loin les recherches. Président de la Fca (Fédération du commerce coopératif et associé) et dirigeant du groupement Atoll, Eric Plat a prévu pour ses propres magasins des brumisateurs secs. En quelques heures à peine, cette technologie à base de peroxyde d’hydrogène permettrait de désinfecter un lieu fermé, d’une surface allant jusqu’à 3.000 m2. A faire fonctionner après chaque journée ouvrée, voire « pendant la fermeture du déjeuner », précise-t-il. Il possède également des lampes UV sous lesquelles passer les paires de lunettes afin de les assainir en une dizaine de minutes. « Cela est transposable dans l’univers de l’habillement où, comme dans l’optique, la manipulation des produits est indispensable. Certes, les UV peuvent aboutir à une décoloration, mais c’est à haute dose et pendant longtemps, donc il n’y a pas d’inquiétude dans ce cas précis.»
Guide des bonnes pratiques
Au-delà de l’équipement dont tout commerce va se doter, des questions plus fortes demeurent autour des spécificités de l’équipement de la personne. Que faire quand un produit aura été touché par un client, avec ou sans gant ? Faudra-t-il régulièrement renouveler les piles de vêtements manipulées ? « J’ai deux cabines, je peux gérer leur occupation, mais les clients auront-ils le droit d’essayer ? Dans ce cas, que faire des vêtements portés mais dont ils ne veulent pas ? », résume Pascale Orsoni.
Pour répondre à ces questions, la Fédération nationale de l’habillement (Fnh) planche sur l’élaboration d’un guide de bonnes pratiques dédié spécifiquement aux commerces de mode. Les incertitudes (faut-il, par exemple changer plus souvent les filtres de la climatisation ?) et les différents cas de figure y seront répertoriés.
Pour apporter les réponses le plus fondées et techniques possibles, comme la durée de vie du virus sur un support textile, la Fnh travaille de concert avec l’Uit (Union des industries textiles). Ce guide, qui sera notamment soumis au ministère de la Santé, sera gratuit pour les représentants de la filière et devrait permettre de préparer la réouverture dans les meilleures conditions.
Incertitude économique
A côté de de ces considérations sanitaires, les détaillants en ont aussi des pragmatiques. « Avant de savoir comment gérer les files d’attente, encore faut-il qu’il y ait des files d’attente », souligne Philippe Sempéré. Ses confrères montrent la même inquiétude quant à la future appétence des consommateurs en général. « Je ne suis pas du tout inquiet sur le plan sanitaire. Nous sommes tous en train d’élaborer des protocoles efficaces. C’est sur le plan économique que j’ai des craintes, ajoute Jean-Paul Chouraqui. Nous n’attendons plus rien de 2020, mais nous espérons un rebond pour 2021, voire 2022. »
Cet horizon lointain est souvent évoqué par les distributeurs qui prédisent une reprise très –trop– calme, quelles que soient les conditions du déconfinement. Surtout quand, comme Pascale Orsoni, leur point de vente est entouré de bars et restaurants qui « resteront fermés jusqu’en juillet ». « Du coup, personne ne va s’aventurer dans la rue », craint-elle. Même hors de ce contexte, les perspectives ne sont pas réjouissantes. « Le premier mois, l’activité sera encore réduite de 80% et on peut espérer arriver à 50% pour le deuxième mois », estime Eric Mertz, le président de la Fnh. Dans ces conditions, la distanciation sociale en boutique pourrait malheureusement se faire naturellement. « Professionnellement parlant, la période de confinement a peut-être été la plus facile à gérer. Avec la reprise et l’incertitude sur l’activité, nous allons maintenant entrer dans le dur », s’accordent à dire plusieurs détaillants.
Article du 24 avril 2020