C’est le credo d’Arielle Lévy, mais aussi le nom du collectif qu’elle a créé en 2017. Pour elle, inventer une autre façon de faire de la mode est non seulement possible mais souhaitable. Son vœu deviendra-t-il une réalité après la crise ?
Je suis d’une génération qui a vécu, parfois subi, la mutation du textile au tournant des années 2000 et qui se résume par le passage à la mondialisation, l’uniformisation et l’explosion du digital. Il y a certes eu du bon, mais cela s’est accompagné d’une accélération déstabilisante et d’un changement de gouvernance des entreprises.
La financiarisation s’est mise à tout guider. Dans le textile, cela a entraîné une perte de savoir-faire. L’inflation du foncier, la course à la création de valeur spéculative, se sont faits au détriment de l’économie réelle. Ce dérèglement s’incarne par l’avènement de la fast fashion et d’une mode toxique.
Le principal symptôme est sans doute la précarisation spirituelle comme économique des emplois. La perte de sens dans son travail a eu comme conséquence directe la disparition du savoir-faire et du savoir-être. Sans compter l’impact sur la santé, la baisse de qualité, la généralisation du prêt à consommer, la fragilisation des commerces indépendants (qui représentaient 30% il y a quelques années et 7% aujourd’hui).
Je suis entrée en résilience dès les années 2000 par passion pour mon métier et par fidélité à mes convictions. J’ai créé le label Une Autre Mode est Possible en 2017. Il s’agit d’un collectif associatif et artistique d’entrepreneurs et de créateurs textile qui incarnent la mode libre. Avec ce mouvement de près de 60 projets et notre vaste écosystème, nous préparons pour 2020 un événement festif, artistique, immersif et inclusif.
Avant la pandémie, 120 milliards de produits textiles étaient vendus par an (source Ademe). Maintenant, des usines sont à l’arrêt, des magasins ferment et des personnes perdent leur emploi. Dans ce contexte, chacun doit apporter sa pierre à l’édifice.
Mon action est de continuer à incarner et fédérer autour de cette autre mode, celle des créateurs indépendants qui doivent pouvoir vivre de leur travail décemment. Depuis des années, ils explorent une autre mode. Ils conjuguent esthétique, éthique et artistique. Ils mettent en action une autre intelligence collective, plus transversale, allant de l’agriculture à l’artisanat et au digital en passant par la musique, l’éducation et le design.
Dans ce contexte d’effondrement, nous devons enfin régénérer les écosystèmes en intégrant :
- Un autre mode de création afin que le vêtement soit porteur de sens, protège la santé, réponde aux nouveaux modes de consommation. La création devra intégrer la recherche d’utilité et d’interaction entre les secteurs d’activité pour plus de bien-être et de solidarité. Nous devons aujourd’hui repartir de l’usage, en particulier de notre rapport au corps, à l’extérieur mais aussi à l’intérieur.
- Un autre mode de production qui soit plus local, mutualisé et à la demande, tout en nous appuyant sur l’innovation comme la modélisation mais aussi des savoir-faire souvent oubliés.
- Un autre mode de communication. Quel sera le rôle des influenceurs ? Quelle place aura le luxe ? Quel sera l’avenir de la publicité dans les magazines et sur la toile ? Quelle place auront les agences d’événementiel ?
- Un autre mode de distribution. Il s’agit avant tout de retrouver le chemin de l’économie réelle. Le premier enjeu sera de mutualiser la distribution pour la création indépendante et faire des lieux de vente des espaces de rencontres et d’expérimentations. Le consommateur a aujourd’hui besoin de rendre ses achats plus responsables, d’intégrer le vintage, la seconde main, la réparation, la location, le troc ou l’upcycling. En un mot, intégrer le fait que « moins c’est mieux ».
Il s’agit aussi d’imaginer des formats de distribution plus proches et adaptés à la ville de demain, qui intègrent l’agriculture urbaine, l’artisanat, le faire-ensemble, l’éducation, le partage. Ces nouveaux lieux seront capables de relier des filières, des secteurs et de rassembler au-delà des clivages sociaux et urbains. La réparation des corps mais aussi de nos modes de vie doivent nous guider vers de nouveaux modèles économiques. La valeur ajoutée va être remise à plat et ne sera plus juste dictée par des tableaux d’indicateurs.
Article du 16 avril 2020